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Les sonates du Rosaire de Biberà Unterlinden à Colmar


€ € € Le concert de Vendredi saint au musée Unterlinden de Colmar, dans la chapelle qui abrite le joyau qu'est le Retable d'Issenheim, propose chaque année aux mélomanes des musiques souvent peu connues, mais fort intéressantes, pour la Passion. Cette fois, au centre du programme, les sonates du mystère du Rosaire de Karl Ignaz Biber, interprétées par l'ensemble Ars Antiqua Austria. La formation autrichienne de musique ancienne fondée par le violoniste Gunar Letzbor s'était déjà produite aux Rencontres de Ribeauvillé. A Colmar, le groupe était en outre constitué du luthiste Hubert Hoffmann, de l'organiste Norbert Zellberger, du contrebassiste Jan Kelgovsy et d'un chanteur, le baryton-basse Andreas Lebeda.

Face au Retable de Grünewald

Les sonates du mystère du Rosaire furent composées en 1674 à Salzbourg par Karl Ignaz Biber, le compositeur attaché à la cour de l'archevêque, qui a été un des grands violonistes de son temps. Les cinq sonates entendues - le cycle en comporte quinze - font référence dans leurs titres à la sueur du Christ, à sa flagellation, à la couronne d'épines, au portement de la croix et à la crucifixion - ce qui, face au chef-d'oeuvre de Matthias Grünewald, donnait une singulière force à la complémentarité du regard et de l'écoute sur un même sujet de méditation. L'oeuvre de Biber reste purement instrumentale. Le violon y illustre toute la virtuosité de son temps : doubles cordes, polyphonies amorcées et changements d'accord des cordes, choix de tonalités différentes. La Passacaille pour violon seul de Biber, qui clôturait le programme, mais ne fait pas - à vrai dire - partie du Rosaire, annonçait déjà les partitas de Bach. Mais, point commun, la forme de chaque sonate se décline sur des rythmes des suites de danses, de la sarabande à la gigue. La spéculation musicale est comme le pendant à la spiritualité du propos. Le magnifique trait de l'archet de Letzbor, la pureté et la fermeté de son jeu trouvaient une très vivante réplique, claire et vigoureuse souvent, dans l'écrin que lui fournissaient les autres instruments de la basse. Des motets pour la Passion de Caccini, Cazzati, Carissimi, des générations précédentes, ou de Georg Christoph Bach, contemporain de Biber et oncle de Jean Sébastien, signalaient, dans une cohésion qui voulait éviter les ruptures d'inspiration, l'influence italienne dans la musique autrichienne. Le chant d'Andreas Lebeda sut, pour sa part, s'y déployer en ampleur jusque dans le profond grave. Le baroque, côté Contre-Réforme comme côté protestant, demande à la musique de s'incarner. C'est cette belle démonstration que fit à coup sûr le concert d'Ars Antiqua Austria.
M. M.

© Dernières Nouvelles d'Alsace, Dimanche 20 Avril 2003. . Tous droits de reproduction réservés